Mesurer la taille des aérosols stratosphériques d’origine volcanique

PROJETS AERIS
Copyright : Hunga Tonga eruption, @Tonga Geological Survey

FAIREASE

Le projet européen FAIR-EASE, vise à développer des services distribués et intégrés d’observation et de modélisation du système terrestre, de l’environnement et de la biodiversité en étroite collaboration avec les communautés d’utilisateurs, l’European Open Science Cloud (EOSC) et les infrastructures de recherche. Dans le cadre de ce projet, l’équipe du pilote  « Volcano Space Observatory » développe une plateforme interactive pour permettre l’analyse conjointe d’un vaste ensemble d’observations de télédétection, issues des sciences de l’atmosphère et des sciences de la Terre, pour suivre à distance l’évolution de l’activité volcanique et son impact sur l’atmosphère. Ces données sont principalement acquises par des satellites d’observation de la Terre, mais elles comprennent également des mesures au sol recueillies par de vastes réseaux d’instruments géophysiques et géochimiques. Ce pilote multidisciplinaire est coordonné par Marie Boichu, chargée de recherche CNRS au Laboratoire d’Optique Atmosphérique (LOA) de l’Université de Lille, en collaboration avec l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP) et l’infrastructure de recherche Data Terra qui réunit les pôles nationaux de données et de services pour les sciences de l’atmosphère (AERIS) et pour les sciences de la Terre (Form@ter).

Dans le cadre de ce projet, des travaux ont permis le suivi de l’activité volcanique lors de l’éruption du Piton de La Fournaise en 2022 (https://www.data-terra.org/actualite/fair-ease-volcans/, https://www.aeris-data.fr/leruption-du-piton-de-la-fournaise-observee-par-la-plateforme-web-volcplume/).

Ici, une nouvelle étude a été développée pour aider à comprendre l’impact sur le climat de l’éruption explosive du Hunga Tonga-Hunga Ha’apai en Janvier 2022, une éruption exceptionnelle de l’ère satellitaire.

Impact des volcans sur le climat

Les éruptions sont capables d’injecter des quantités faramineuses d’aérosols sulfatés dans les hautes couches de l’atmosphère, notamment dans la stratosphère. Ces petites particules sont en mesure de perturber la chimie de l’atmosphère et le climat de la Terre. Cependant, la taille de ces aérosols, un paramètre essentiel des modèles climatiques, est généralement méconnue. Pour combler cette lacune, une nouvelle méthode d’analyse des mesures de télédétection au sol AERONET (AErosol RObotic NETwork) a été récemment mise au point. La synergie avec diverses observations acquises par des satellites en orbite basse (Sentinel-5P/TROPOMI, MetOp-B,-C/IASI) ou géostationnaires (HIMAWARI-8/AHI) ainsi qu’avec des mesures actives LIDAR embarquées (CALIOP) a permis de suivre la croissance et la persistance à l’échelle mondiale et sur plusieurs années jusqu’à aujourd’hui, des aérosols sulfatés stratosphériques issus de l’éruption record du Hunga Tonga-Hunga Ha’apai (Boichu et al., JGR 2023).

Grâce à la couverture du réseau mondial de photomètres AERONET, dont les données sont en accès libre, cette nouvelle méthode fournit, avec des résolutions spatiales et temporelles accrues, la distribution de taille des aérosols sulfatés volcaniques. La taille de ces aérosols atypiques est généralement plus grande que celle des aérosols fins de fond. Notre nouvelle approche permet donc de séparer la signature des aérosols volcaniques de celle des particules de fond coexistant dans la colonne atmosphérique. Il est ainsi possible d’identifier les aérosols sulfatés volcaniques et de décrire avec précision leurs propriétés microphysiques et d’absorption, en fonction de l’âge du panache, pour des échelles de temps allant de quelques jours à quelques années.

L’analyse couplée des observations acquises depuis le sol et par satellite, ainsi que l’analyse multi-stations des mesures sol, ont été réalisées à l’aide du portail web AERIS VOLCPLUME (Boichu & Mathurin, 2022). Ce portail interactif, dédié au suivi et à l’analyse des propriétés physico-chimiques en 4D des panaches volcaniques dans l’atmosphère, de la source à l’échelle globale, a été utilisé en temps de crise pour fournir des informations sur les aérosols issus de l’éruption du Hunga Tonga (Lac et al. 2022).

En premier lieu, l’équipe a documenté une croissance rapide des aérosols sulfatés dans le panache du Hunga Tonga, dans les jours qui ont suivi l’éruption, doublant presque de taille au cours des sept jours de leur transport depuis l’est de l’Australie (Fig. 1) jusqu’à La Réunion (Fig. 2). Les mesures AERONET acquises par les stations ACTRIS du Maido OPAR sur l’île de La Réunion dans l’océan Indien et de Gobabeb en Namibie (Fig. 2), ont joué un rôle important pour identifier cette croissance précoce des aérosols, qui s’est avérée plus rapide que celle observée suite à l’éruption du Pinatubo en 1991. Cette croissance rapide des aérosols est interprétée comme la conséquence de l’humidification exceptionnelle de la stratosphère engendrée par l’éruption exceptionnellement riche en eau du Hunga Tonga.

Dans un second temps, une persistance, sur plusieurs années jusqu’à aujourd’hui, de petits aérosols dans le panache du Hunga Tonga (avec un rayon maximal de 0.3-0.5 μm) a été identifiée à 20 stations AERONET de l’hémisphère sud (figures 3 et 4). L’équipe a donc pu suivre, avec des résolutions spatiales et temporelles élevées, la dispersion des aérosols sulfatés volcaniques vers la région du pôle Sud et documenter l’évolution de leur taille au cours de ce voyage (figure 4). Il a fallu quatre mois pour que le panache atteigne les hautes latitudes, au sud de 43°S.

Plus d’un an après l’éruption, et malgré une croissance initialement rapide, les aérosols sulfatés du Hunga Tonga restent plus petits que les particules du Pinatubo. Les particules plus petites réfléchissent mieux la lumière du soleil et résident plus longtemps en suspension dans la stratosphère, ce qui favorise le refroidissement de la surface., Néanmoins, leur effet sur l’équilibre radiatif de la Terre est modulé par leur durée de vie et leur abondance, qui restent incertaines. Suivre de près l’évolution spatiale et temporelle des aérosols du Hunga Tonga dans les années à venir pourra aider les scientifiques à déterminer l’impact net de cette éruption exceptionnelle sur le climat de la Terre.

Contact : Marie Boichu, chargée de recherche CNRS à l’Université de Lille, Laboratoire d’Optique Atmosphérique (LOA) (marie.boichu@univ-lille.fr)

Figure 1 : Croissance rapide des aérosols issus de l’éruption du Hunga Tonga (HT) pendant leur premier tour du monde en janvier 2022. Rayon des aérosols du panache du Hunga Tonga en fonction du temps mesuré aux stations AERONET sélectionnées sur trois continents différents (Australie, Afrique et Amérique du Sud), indiquées par des symboles colorés selon la station. Les lignes horizontales en pointillé indiquent le rayon médian du mode fin observé entre le 1er janvier 2020 et le 15 janvier 2022. La ligne verticale en pointillés indique l’heure de l’éruption HT.

Figure 2 : Taille des aérosols survolant l’île de La Réunion mesurée par la station AERONET du Maido OPAR (21°S) de janvier 2020 à mai 2023. Distribution volumique de la taille des aérosols fins avant (à gauche, en vert) et après (au milieu, en rouge) l’éruption du Hunga Tonga. Les lignes épaisses montrent la médiane de ces distributions de taille, qui sont dupliquées dans le panneau de droite pour faciliter la comparaison.

Figure 3 : Superposition des séries temporelles du rayon des aérosols du panache du Hunga Tonga mesuré aux 20 stations AERONET de l’hémisphère sud représentées dans la carte du panneau supérieur. La couleur des symboles dépend de la latitude de la station, tandis que la taille des symboles est proportionnelle à l’abondance des aérosols sur la colonne atmosphérique. La ligne rouge épaisse est la médiane calculée après l’éruption du Hunga Tonga (ligne verticale en pointillés) sur une fenêtre glissante de 15 jours, limitée aux données appartenant à la plage de taille volcanique (0.22-0.90 mm). Les lignes rouges en pointillés représentent les quantiles à 5 % et 95 %.

Références

Boichu, M., Grandin, R., Blarel, L., Torres, B., Derimian, Y., Goloub, P., Brogniez, C., Chiapello, I., Dubovik, O., Mathurin, T., Pascal, N., Patou, M., & Riedi, J. (2023), « Growth and global persistence of stratospheric sulfate aerosols from the 2022 Hunga Tonga-Hunga Ha’apai volcanic eruption ». Journal of Geophysical Research : Atmospheres, 128, e2023JD039010, https://doi.org/10.1029/2023JD039010

Boichu, M. et Mathurin, T. (2022). VOLCPLUME, an interactive web portal for the multiscale analysis of volcanic plume physico-chemical properties [Interactive Web based Ressource], AERIS, https://doi.org/10.25326/362, Portal access: https://volcplume.aeris-data.fr, Homepage: https://www.icare.univ-lille.fr/volcplume/

Lac, C., Le Pichon, A., Listowski, C., Abbassi, G., Astafyeva, E., Baron, A., Berveiller, D., Boichu, M., Clerbaux, C. et al. (2022). « The eruption of the Hunga Tonga – Hunga Ha’apai volcano on January 15, 2022 : a shock of the Earth on a global scale » (Tech. Rep.). Groupe Thématique Atmosphère d’ALLENVI. https://zenodo.org/record/7678770/files/Tonga_FR_FINALE_DOI_v1.1.pdf, doi : 10.5281/zenodo.7678770